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La diffusion conjuguée des équipements et des pratiques numériques
est sans nul doute un facteur déterminant dans l’émergence des
pratiques collaboratives, dont de nombreuses s’appuient sur la possibilité
technologique de mettre en relation un grand nombre de personnes.
Des sitesde trocorganisent deséchangesde livres, devêtements, d’objets
divers et même des échanges temporaires ou définitifs de maisons. Les
systèmes d’échanges locaux (SEL) et les accorderies, permettent plus
globalement aux membres d’une communauté locale de s’échanger
gratuitement des produits, des compétences, des savoir-faire. Toutes
ces initiatives s’inscrivent dans une forme de résistance, de recherche de
simplicité, certainsdiraient de«lowcost». Souventmotivéespar des choix
idéologiques, elles s’opposent à la culturedominantede la consommation,
à la survalorisant de l’avoir et privilégient plutôt unmode d’existence basé
sur l’être.
Année après année, les Français déplorent une société fragile, où les in-
dividus sont isolés et où la cohésion sociale est faible. Pourtant, l’impor-
tance accordée aux amis et à la vie relationnelle ne semble jamais avoir
été aussi forte. Les réseaux sociaux en ligne sont utilisés par un Fran-
çais sur deux. S’ils cherchent à augmenter leur cercle relationnel, ils
ne parviennent pas toujours à combler cette impression d’isolement.
Comme nous le verrons plus loin, les entretiens avec les usagers de
nos services ont montré le besoin très profond de ces personnes de
pouvoir se relier à d’autres, d’intégrer des réseaux sociaux, profession-
nels, de sortir de leur isolement.
L’idéal collaboratif semble s’inscrire dans l’imaginaire collectif comme un
renouveau des liens sociaux et la création et le renforcement des liens
hors foyer. Cette forte attente transparaît dans les bénéfices attendus
des pratiques collaboratives. Juste après les gains financiers, 47 % de
nos concitoyens imaginent qu’en partageant un trajet par exemple, des
nouveaux liens s’établiront
12
.
Les conséquences de cette nouvelle façon d’agir vont bien au-delà de
nos relations interpersonnelles. La révolution provoquée par le « pair
à pair » change non seulement nos relations sociales, mais aussi nos
modèles économiques, nos formes d’organisations, même notre manière
de gouverner et peut-être même à terme notre paysage politique,
estime Jérémy Rifkin
13
.
23
L’étude réalisée par l’Institut national de la consommation en décembre
2014 montre que, désormais, les pratiques collaboratives touchent
toutes les couches de la société et tous les âges. «
81 % des Français
se disent favorables à la consommation collaborative, et 58 % pensent
même qu’il s’agit du mode de consommation du XXI
e
siècle
14
» . Ce
type de consommation touche presque tous les Français même si les
pratiques peuvent être différentes selon les générations et la situation
des personnes.
Les jeunes de la génération Y sont certainement les principaux ambas-
sadeurs de ce mouvement. La crise actuelle les touche en premier lieu
et il s’agit d’une population connectée, très réceptive aux nouvelles
technologies. «
30%des 18-24 ans disent avoir eu recours au covoiturage
et 22 % utilisent le site de troc de billets de train
». Mais en dépit de ces
spécificités, les nouvelles formes de consommation ne peuvent plus
être considérées comme un « simple truc de jeunes ». Si les retraités se
montrent plus réservés en moyenne, le groupe des 40-50 ans est celui
en plus forte croissance. Par ailleurs, les ménages avec enfants sont
également fortement représentés.
Une autre manière de partager ?
Certains promoteurs de l’économie collaborative tels que OuiShare se
demandent début 2016 si le concept n’est pas déjà dépassé du fait du
changement d’échelle de BlaBlaCar ou d’Uber. Le film documentaire
Global Partage
, orchestrant le récit de la montée en puissance de la
communauté OuiShare, paraît déjà désuet alors qu’il n’a que trois ans.
Pour d’autres, le concept d’économie du partage ou
sharing economy
apparait plus pertinent. Selon une étude PriceWaterhouseCoopers
parue en 2014, le marché de l'économie du partage (
sharing economy
)
pourrait représenter 335 milliards de dollars (268,5 milliards d'euros)
d'ici à 2025
15
. La ville de Séoul a par exemple développé le programme
Sharing City
dont les habitants peuvent se saisir pour développer des
innovations complémentaires aux services publics
16
.
Les plateformes numériques sont au cœur de la migration de la valeur
(12) CREDOC, enquête « Conditions de vie et aspirations », 2014.
(13) Jeremy Rifkin,
Une nouvelle conscience pour un monde en crise, vers une
civilisation de l’empathie
, Les liens qui libèrent, 2011.
(14) Étude de Médiaprism, « Consommation collaborative : enjeux et limites »,
Institut national de la consommation, 2014
(15)
http://www.pwc.fr/the-sharing-economy.html