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dont ils font l’objet. Parmi les nombreuses sources d’inspiration sur

l’

empowerment

, la méthode de conscientisation développée par le

Brésilien Paulo Freire occupe une place de choix. Dans son ouvrage

Pédagogie des opprimés

, il prône une méthode d’éducation active qui

doit aider l’homme à prendre conscience de sa problématique, de sa

condition de personne. Il doit acquérir les outils qui lui permettront de

faire des choix. Il ne s’agit pas seulement d’apprendre quelque chose à

son interlocuteur, mais de rechercher avec lui lesmoyens de transformer

le monde dans lequel il vit.

C’est aussi à la fin du XX

e

siècle que l’ONU (Organisation des Nations-

Unies) et la Banque Mondiale commencent à mobiliser l’

empowerment

comme un critère de bonne gouvernance, un élément de lutte contre la

pauvretéet les inégalités notamment degenre. En1995, l’

empowerment

devient l’un des objectifs du Programme des Nations-Unies pour le

développement (PNUD). Il renvoie alors à l’idée de renforcement des

capacités. La notion de capabilité est issue des travaux de l’économiste

et philosophe Amartya Sen et représente «

l’ensemble des vecteurs de

fonctionnement qui indiquent qu’un individu est libre de mener tel ou

tel type de vie

»

18

.

La progressionde la pauvretédans denombreuxpays endéveloppement,

les crises financières des années 1997-1998 en Asie et en Amérique

latine notamment, l’aggravation de la dette, amènent la Banque Mondiale

à recentrer son discours sur la question de la pauvreté. Dans son rapport

sur

Le développement dans le monde 2000-2001. Comment combattre

la pauvreté ?

, elle consacre une section entière à l’

empowerment

.

L’

empowerment

(terme traduit par « insertion » dans la version fran-

çaise) y est présenté comme un des trois piliers, avec les opportunités

et la sécurité, permettant de réduire la pauvreté. Il est définit comme

«

 l’augmentation des moyens et des capacités des pauvres à participer,

négocier, influencer, contrôler et demander des comptes aux institutions

qui affectent leur vie

»

19

. Cette perspective est prolongée par les travaux

dedifférents groupes de réflexion, dont laPovertyReductionUnit dirigée

par Ruth Alsop, une sociologue qui codirige pour la Banque Mondiale

une étude très approfondie,

Empowerment in practice. From Analisis

to Implementation

. Ce document propose un cadre d’action pour aider à

transformer les relations de pouvoirs et, en retour, de réduire la pauvreté.

L

’empowerment

y est définit comme un «

processus permettant à un

individu ou à un groupe de développer ses capacités à faire des choix

intentionnels, à transformer ses choix en actions et en résultats

»

20

. Cette

capacité d’agir des personnes reposerait sur des atouts psychologiques,

informationnels, organisationnels, matériels, sociaux, financiers et

humains. Mais surtout, elle se déploierait au sein d’institutions capables

de créer les conditions de sortie de la pauvreté et de l’

empowerment

des

individus. Il y est décrit un cercle vertueux dans lequel des institutions

qualifiées d’inclusives permettront aux pauvres l’accès au marché du

travail, au marché et au pouvoir de participation et de négociation afin

qu’ils puissent sortir par eux-mêmes de la pauvreté, devenir autonomes

et responsables, ce qui contribuera à la croissance économique.

Dans cette approche de la Banque Mondiale, à la démarche de déve-

loppement social est associée la notion d’

empowerment

permettant

d’augmenter les capabilités et de donner aux individus les moyens de

choisir leur mode de vie. Pourtant, les programmes qui sont développés,

notamment ceux en faveur des femmes, mettent surtout l’accent sur

l’éducation et l’acquisition de compétences, bien plus que leur éman-

cipation par une mobilisation collective. La finalité qui y est affichée

est essentiellement l’augmentation des revenus et l’intégration des

femmes au marché du travail. Ainsi, le langage de l’

empowerment

a pris

forme et sens dans une vision centrée sur les choix et le pouvoir d’action

des seuls individus, oubliant la dimension collective du concept. Cette

perspective est donc radicalement différente des premières interpré-

tations développées par les féministes, qui y voyaient un processus

reposant certes sur la construction d’un pouvoir individuel mais articulé

avec un engagement collectif et une mobilisation politique pour une

transformation sociale profonde.

«

Le but n’est pas de faire face ou de s’adapter au problème,

mais de développer sa capacité à changer la situation

et de prendre une part active à la résolution du problème.

»

Lorraine Guttierez

Devant l’effet conjugué de cette pénurie de ressources et la remise en

question des pratiques professionnelles qui les accompagnent, nous

voyons progressivement émerger de nouvelles logiques d’action

28

29

(18) Amartya Sen,

Commodities and capabilities

, Elsevier Science Publishers,

Oxford, 1985.

(19) Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener,

L

’empowerment,

une pratique

émancipatrice ?

, La Découverte Poche, Paris, 2015, p 91.

(20) Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener, idem p 92.