Cahier numéro 4 - page 16-17

depuis cinq ans maintenant. Il a beau proposer de nom-
breuses idées, elles ne suscitent que peu d’enthousiasme.
Il commence à douter de la bonne volonté de ses interlo-
cuteurs. Mais, doucement, son voisin de droite le ramène
à la réalité contextuelle : «Tu sais, on écoute ce que tu dis,
mais si on te semble si prudents c’est parce que nous, si on
se trompe, on meurt… »
Cette triple approche peut également se lire simplement : le rapport à
la mort, le rapport au choix et le rapport à l’incertitude. Le rapport à la
mort définit une approche plus anthropologique, le rapport au choix une
approche plus socio-économique, le rapport à l’incertitude rejoint des
soucis d’ordre pédagogique.
À l’autre bout du spectre du droit à l’erreur se trouvent les situations où
tout est permis, l’erreur n’a quasiment jamais d’issue fatale.
Le directeur général de cette grande banque est tout de
même un peu inquiet. L’année se termine mal, son établis-
sement va annoncer une perte de plusieurs milliards d’euros.
C’est embêtant… Le téléphone sonne à cet instant, le prési-
dent du conseil d’administration est au bout du fil : « Comme
prévu vous toucherez cette année un bonus de six millions
d’euros. Bravo ! »
Il est alors possible de décrier les contextes de sécurité de trois façons
complémentaires :
- l’erreur n’entraîne pas la mort ;
- chacun dispose de choix nombreux… ;
- les hommes disposent d’une forte capacité à contrôler les incertitudes.
Pierre n’en croit pas ses yeux : il vient d’obtenir un billet pour
faire Paris-Lyon en train dans un mois, et le billet comporte
déjà l’heure de départ… à la minute près ! Et en plus l’heure
d’arrivée à Lyon-Part-Dieu figure également… à la minute
près ! « Dans mon Cameroun natal, pense-t-il, nous ne
savons même pas quel jour part le train ! Quant à savoir son
heure d’arrivée à destination… »
De la grande précarité – si je me trompe, je meurs – à la grande sécurité
– responsable et pas coupable – il y a sept milliards de points, sept mil-
liards d’hommes qui, à chaque instant de leur vie, sont dans un contexte
précis, mais qui de surcroît peuvent se déplacer d’un côté à l’autre. Nous
pouvons naître à droite du tableau, dans un milieu aisé de la banlieue
ouest de Paris, puis subir des accidents de l’histoire qui nous renvoient
vers une plus grande précarité… et inversement, pensent ceux qui ten-
tent leur chance en migrant.
Le rapport à l’initiative
Suivant le contexte dans lequel l’homme évolue, son rapport à l’initiative
ne sera pas le même. Dans un contexte très précaire, où l’erreur est
synonyme de mort, elle sera assimilée à un risque. Certaines langues,
comme l’aymara, ne disposent que d’un mot pour désigner initiative et
risque. Le sentiment de précarité rapproche donc l’initiative de la notion
de risque. Il ne faut donc pas s’étonner si des personnes ou des groupes
sociaux, confrontés à une grande précarité semblent parfois hésiter
avant de prendre l’une ou l’autre initiative… Ce n’est pas une raison suf-
fisante pour décréter, de façon générale, que telle ou telle population,
en Afrique ou ailleurs, est « fataliste » !
Par contre, dans un contexte où la mort semble lointaine, dans un
contexte de sécurité, dans un monde où un président directeur de
banque, au vu d’un résultat catastrophique se comptant en milliards
d’euros de pertes, se voit remercier avec bonus, retraite chapeau et
autre golden parachute. Il n’est pas étonnant que l’initiative puisse
être valorisée : elle devient une opportunité. Chacun y va alors de son
commentaire sur les vertus supposées de l’initiative, et les enfants sont
élevés dans cette ambiance générale.
« Responsable et pas coupable »
La France est un pays connu pour sa capacité à conceptualiser : ainsi, il
y a quelques années, une éminente responsable politique a théorisé
la sécurité ultime en revendiquant la rupture totale entre initiative et
risque pour se défendre dans une affaire de droit commun. Elle fut la
première à théoriser la sécurité absolue : « Responsable mais pas
coupable ». Cette expression, intraduisible dans aucune autre langue,
définit parfaitement la posture de certains hauts personnages en
France : ils souhaitent être responsables de tout, mais coupables de rien
quoi qu’il arrive. Nous n’avons pas fini de payer les effets délétères de
cette expression. Car si l’on peut comprendre l’intérêt qu’il peut y avoir
pour la personne concernée à faire un distinguo net entre la respon-
sabilité morale et la responsabilité pénale, il faut voir à quel point cela
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