de silence et la conversation reprend, sur le cours du cacao.
Quelques instants plus tard, la fille aînée d’Owono rejoint
les deux hommes. Sourires, échange de salutations, d’ama-
bilités… « Dites monsieur, j’ai déjà deux enfants, mais je n’ai
pas encore de métis… »
Dans ce contexte, où la proportion importante de stérilité secondaire
chez les jeunes filles fait planer un doute sur chacune d’entre elles de
ne pas pouvoir se trouver un mari, il convient de faire la preuve de sa
fécondité pour pouvoir se marier…
Au total, on voit que les hommes, sous couvert de protéger leurs femmes
pour assurer la survie du groupe, se sont laissés entraîner jusqu’à les
enfermer. Quand passe-t-on de la protection à l’enfermement ? Là est
toute la question, et c’est surtout une question de point de vue.
Dans la salle les participants à la conférence s’agitent,
les propos de l’orateur suscitent des remous. Il prétend que
le statut de femmes est, ici comme ailleurs, d’abord lié aux
impératifs, inconscients, liés à la nécessité de protéger les
femmes. L’une se lève, très remontée :
- Ce n’est pas vrai, les femmes ne sont pas protégées, elles
sont enfermées. Encore ici ça va, mais avant j’étais auPakistan
et là-bas les femmes sont enfermées et non protégées.
- Vous avez sûrement raison madame, je ne connais pas le
Pakistan. Mais vous nous dites cela dans cette très belle
salle située au rez-de-chaussée d’une tour qui comporte
sept étages, dans laquelle vous habitez ainsi que tous les
Français présents dans la salle. Mais par la fenêtre nous
pouvons voir un très joli mur en béton de cinq mètres de
haut, surmonté de fils barbelés de belle facture, le tout
gardé par des hommes en armes. Et au-delà de ce mur, il y a
une rue, une ville dans laquelle je me promène souvent. Et
un jour, quelqu’un m’a abordé : « Dites monsieur, je vois que
vous sortez de la tour. Pouvez-vous m‘expliquer pourquoi
les femmes françaises sont enfermées ?
- Comment ça enfermées ? Ils n’y connaissent rien : on n’est
pas enfermées, on est protégées !!! »
Il semble que dans tous les cas de figure, quand un groupe social
développe un sentiment de précarité, justifié ou non importe peu, il a
tendance à faire à ses femmes un statut qui, en interne, est justifié par
un impératif de protection, et, en externe, est perçu comme un enferme-
ment. Que ces femmes soient musulmanes en France ou chrétiennes en
Angola ne change rien à l’affaire.
Mais cette différence homme/femme, certains d’entre nous ici dans la
salle l’ont vécue de façon très personnelle, même après avoir longue-
ment milité dans les mouvements féministes :
- Un jour ma fille aînée, à dix-sept ans, vient me faire admirer
la nouvelle mini-jupe qu’elle compte inaugurer ce soir en
boîte de nuit. Vous pouvez deviner ma réaction : «Vamettre
un jean… » Et ma fille part en rouspétant et en expliquant
que pour un peu je l’enfermerais ! Quelque temps après, son
frère au même âge – taillé comme une armoire normande
– vient me faire admirer le déguisement qu’il a prévu pour
une soirée… un homme préhistorique, vêtu en tout et pour
tout d’un string en raphia… « Amuse-toi bien », me suis-je
entendu dire…
Des années de lutte contre l’éducation sexiste anéanties en un instant !
C’est sur ce substrat que les trois grandes religions monothéistes qui
font l’actualité se sont installées : par ordre d’apparition sur scène, le
judaïsme, le christianisme et l’islam. Elles sont nées toutes les trois dans
un contexte précaire, et toutes les trois réclament, imposent, des statuts
différents aux hommes et aux femmes.
Mais il existe une religion monothéiste comparable aux trois autres, qui
est née dans un contexte de sécurité croissante, et qui exige un statut
identique aux hommes et aux femmes : le protestantisme. Branche
du christianisme, le protestantisme est bien une religion monothéiste
comparable, mais elle est née avec le monde qui contrôle bien mieux les
incertitudes, celui que l’on appelle «moderne », et elle réclame des sta-
tuts homme/femme comparables. Max Weber, dans son livre
L’éthique
protestante et l’esprit du capitalisme
, le démontre parfaitement.
Cela suffit à démontrer que ce n’est pas la religion qui fabrique les
statuts différenciés entre hommes et femmes, c’est le contexte dans
lequel elle est apparue. C’est une raison de plus pour choisir de lire les
différences culturelles sans passer par le biais du religieux, mais en
passant par le biais contextuel.
Ainsi, face à quelqu’un qui fait à ses femmes, épouse ou filles, un statut
30
31