Cahier numéro 4 - page 44-45

« Clair Michalon, l’intervenant de cet après-midi. »
Il y a quelques jours, je descends à Die, ma ville natale, et je
croise un habitant qui me dévisage.
- Tu es qui toi ?
- Un fils Michalon…
- Lequel, vous êtes nombreux ?
- Le quatrième, Clair.
- Ah oui, c’est toi qui as épousé une Alsacienne.
Si je réponds que je suis consultant en différences cultu-
relles, je ne suis ni compris, ni reconnu.
En allant de la ville à la campagne nous remontons le temps, l’histoire qui
a fait que les hommes ont créé les villes pour améliorer leur sentiment
de sécurité. Alors quand nous retournons dans les campagnes nous
retrouvons les comportements liés à la précarité. Elle peut n’être ni
réelle ni consciente, mais subsister dans les comportements, les us et
coutumes locaux.
Cela se remarque à toute échelle. Ainsi dans le métro parisien le fonc-
tionnel l’emporte sur le relationnel et les usagers ne se disent pas
bonjour… sauf quand il y a une panne ou une grève. Alors là, la fonction
disparaît, et, rapidement la relation s’installe.
Nous pouvons faire le même constat en nous promenant. Sur un petit
cheminonsecroised’unhochementdetête ;enmontagne,au-delàdedeux
mille mètres d’altitude on dit bonjour à tout le monde, et au-delà de trois
millemètres nous sommes amis avec tous. Au fur et àmesurede l’augmen-
tation de l’altitude, le sentiment de précarité augmente, et le relationnel
devient obligatoire. Nous n’avons nul besoin de changer de passeport, de
religion ou de couleur de peau. Il suffit de changer de contexte.
Donc dans un cadre professionnel classique, pour entrer en contact réel
avec une famille ou une personne en précarité, vous devez d’abord lui
envoyer des signaux relationnels. Au cours des premières phrases, il
est hautement souhaitable de lui faire savoir que vous aussi, vous avez
des soucis d’ordre relationnel. Il faut faire le plus simplement possible.
« Bonjour madame, je suis content de pouvoir vous recevoir comme
prévu car j’ai eu des petits problèmes avec mon fils, j’ai dû l’emmener
chez le docteur, mais tout va bienmaintenant, je vous écoute. Que puis-
je faire pour vous ? »
Vous verrez qu’à la prochaine rencontre la première question de cette
dame concernera la santé de votre fils. En fait il s’agit là d’un échange
de code. Lors de votre prise de parole vous lui faites savoir que vous
connaissez son échelle de valeur, et lors de sa deuxième visite elle vous
fait savoir que vous avez une échelle de valeur commune : donc chacun
existe l’un pour l’autre, et chacun respectera l’autre parce que l’autre
existe à ses yeux.
Évidemment cela va en complète contradiction avec la notion de
« distance professionnelle » inculquée lors des formations initiales des
acteurs sociaux. C’est certain, mais cela indique surtout que les forma-
tions initiales des travailleurs sociaux ne prennent pas véritablement en
compte les différences culturelles.
En Corée du Sud où j’ai travaillé, il s’est avéré que pour être
reconnu il m’a fallu faire état demon titre. Où cela se situe-il
dans ce schéma ?
Il semblerait que ce soit une sorte de position médiane que
l’on retrouve dans les pays émergents : Amérique latine,
Inde, etc. Là il faut arguer de son titre d’ingénieur ou de
docteur pour être reconnu. La relation en situation précaire,
le titre en situation médiane, la fonction en contexte de
sécurité… et n’oublions pas qu’il y a sept milliards de cas !
Mais est-ce que la culture d’entreprise ne vient pas niveler
tout cela ?
C’est ce que notre société essaye de nous faire croire. Mais
ce n’est que la projection de notre contexte sur le reste du
monde qui peut faire penser cela. Dans les contextes de
sécurité, le principe fonctionnel qui régit les entreprises
pénètre peu à peu tous les milieux, jusque dans les familles,
et il participe à la destruction du lien social. Nous voyons
cela comme une sorte de norme. Dans les contextes pré-
caires, le mouvement est inverse, c’est le principe relation-
nel qui pénètre dans l’entreprise. Quand nous formons des
cadres à travailler avec ce type de contexte nous les met-
tons bienengarde là-dessus. La prédominancedu relationnel
sur le fonctionnel se fait sentir jusque dans l’entreprise…
Et chacun d’entre nous tente, de façon plus ou moins expli-
cite de trouver un compromis acceptable entre ces deux
principes.
N’êtes-vous pas en train de dire qu’il suffit de réintroduire,
dans nos organismes et nos services, du sentiment de
précarité pour que la relation s’installe et que les gens se
parlent ?
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