Cahier n° 11 - page 30-31

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Tendue vers la création de connaissances nouvelles, l’intelligence
collective citoyenne vise d’abord et avant tout des
objectifs politiques
.
Son idéal ? Orienter des politiques publiques, parce qu’un projet partagé
vaut mieux qu’un projet décrété, aussi performant soit-il. Et parce que
les citoyens sont porteurs d’une connaissance, d’une expertise d’usage
de leur territoire, de leur quartier, et que cette expertise est à la fois
rare et précieuse. En outre, il s’agit d’asseoir, par la traçabilité, la démo-
cratie participative. La légitimité de l’action publique passe en effet
par l’exigence d’argumentation capitalisée, de pédagogie ouverte et
de construction collective de l’intérêt général. S’il ne devait y avoir
que deux arguments en faveur de l’intelligence collective citoyenne,
ces deux marqueurs politiques prendraient sans nul doute la position
de tête. Notons que l’intelligence collective vise également, et tout
naturellement, des objectifs sociaux : elle crée incontestablement du
lien social et contribue à dynamiser la société civile en matérialisant,
même demanière virtuelle, un espace demutualisation. Enfin, elle n’est
pas en reste d’objectifs économiques (soutenir l’innovation sociale et
l’entrepreneuriat social) ni d’objectifs fonctionnels (mobiliser le vécu
citoyen pour mieux adapter les besoins aux usagers, réduire les coûts
des projets publics, éviter les contentieux et les risques de conflits, etc.).
C’est dans le cadre de cet agenda ambitieux que sont nées, notamment
au nord de l’Europe et aux États-Unis, moult expériences d’implication
citoyenne par le recours au numérique : sondages en ligne, votes
électroniques, chats avec des élus, e-pétitions, groupes Facebook,
cartographies collaboratives, forums citoyens, applications de budgets
participatifs, etc. Même une portion de la Constitution islandaise a
été rédigée en mode wiki collaboratif. Ces retours d’expériences nous
permettent de dresser un premier bilan qualitatif de la portée et des
lignes de faille du numérique citoyen.
Lignes de faille du numérique citoyen
Lamultiplication des initiatives de participation citoyenne en ligne offre
un premier étalonnage concret et mesurable, dont il s’agit de tirer les
enseignements.
Tout d’abord, un constat : à se focaliser sur des outils ascendants et
descendants, on a créé un vide d’expérimentation en matière de co-
production en ligne. Et à défendre une positionminimisant la gestion de
la concertation numérique, on a fait de l’auto-organisation le mode de
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Cette mise en perspective n’a nullement vocation à critiquer l’effica-
cité de Wikipédia. Elle a vocation à montrer que si le leader mondial de
l’écriture collaborative réussit à mobiliser ces tailles de communauté
(quelques dizaines de milliers à l’échelle mondiale qui interviennent de
manière récurrente), il n’est pas étonnant que l’intelligence collective en
ligne soit si difficile à mettre enœuvre au quotidien dans des contextes
plus locaux, ou moins transcendés par une cause universelle...
Contre-histoire de l’intelligence collective
Décor campé. L’intelligence collective en ligne n’est pas un phénomène
s’inscrivant dans l’évidence d’une « dynamique de groupe ». Elle n’est
peut-être même pas naturelle du tout. En tout cas lorsqu’on cherche à
associer le concept à la création d’une
pensée collective
.
Car c’est bien de cela dont il s’agit dans le contexte d’une participation
citoyenne et démocratique. Une intelligence collective qui désigne
alors les capacités cognitives d’une communauté résultant des
interac-
tions
multiples entre ses membres. Une intelligence collective qui
co-produit des
connaissances nouvelles
au sein d’un groupe. Interactions
et connaissances nouvelles en sont les mots-fractures, car ce sont
autour de ces deux notions que l’intelligence collective se distingue du
simple partage d’informations : l’interaction ne signifie pas l’addition
des points de vue, mais bel et bien leur croisement et leur hybridation.
Quant aux connaissances nouvelles, elles s’opposent à l’information
connue ou triviale qui représente la chair des réseaux sociaux et qui
se contente de circuler d’un individu à l’autre, d’un groupe à l’autre, via
Facebook ou Twitter.
Il résulte, en creux de ces définitions, que l’intelligence collective ne
signifie pas simple dissémination de contenus : celle-ci est l’apanage
des sites web statiques, des e-mails, des blogs, voire des applications
Open Data
de type
problem finding
(dont l’archétype est FixMyStreet),
etc., qui correspondent peu ou prou à des flux d’informations descen-
dants ou ascendants. L’intelligence collective ne se résume pas non plus
à un processus d’écoute active dans une démarche de concertation ou
de consultation publique : celui-ci est essentiellement le fait des forums
en ligne (et bien souvent de son sous-jacent, le « bureau des pleurs »
virtuel). Enfin, l’intelligence collective ne se réduit pas à la mise en
relation entre individus (c’est l’objet même des réseaux sociaux) ni à la
résolution de problèmes simples et connus (sites de Q&A).
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