d’un chacun-pour-soi destructeurs du lien social, d’une vitalité et d’une
générosité sans pareilles.
Reste sans doute à développer bien davantage encore, les médiations
et les apprentissages qui permettraient une articulation féconde entre
démocratie représentative et démocratie directe, entre présence
physique et communication à distance, entre technique, politique et
philosophie…
Bernard Benattar
Philosophe praticien
41
Mais il ne faut peut-être pas se fier aux apparences : on peut se demander
si l’inflation critique « ni vu, ni connu », sans risque, correspond à une
phase d’apprentissage nécessaire à la liberté d’expression. Ou est-ce
encore la branche qui cache la forêt des initiatives citoyennes, des
engagements et de la reconnaissance mutuelle ? Car le numérique
favorise les rendez-vous asynchrones par-delà les distances et permet
possiblement d’échapper à l’entre soi. Combien d’initiatives citoyennes
dont témoigne le livre de Bénédicte Manier
Un million de révolutions
tranquilles
19
sont nées, se sont propagées, étayées grâce au numérique !
Conclusion
Si comme le dit Bernard Stiegler, le numérique est un « pharmacon »,
nous pouvons en faire un remède plutôt qu’un poison : remède à l’isole-
ment, à l’inégalité, à l’injustice, à l’individualisme…
Oui le caractère viral des commentaires en ligne s’apparente à n’en pas
douter à une réelle possibilité de « tout dire » au risque d’ « un trop
dire nihiliste » et d’une inflation de la critique exempte du courage de
l’engagement. Car le courage de la contradiction qui s’exerce sur la place
publique, celui que nous attendons de nos gouvernants, semble aux an-
tipodes de l’anonymat virtuel qu’autorise la communication à distance.
C’est évidemment un risque patent d’affaiblissement de la légitimité
de notre démocratie représentative, dans sa forme actuelle, cherchant
toujours et encore chez nos gouvernants, l’étoffe du héros.
Mais pour autant oui, le numérique donne du pouvoir d’agir au plus
grand nombre en faisant circuler les idées, les projets et les savoirs ;
oui, le numérique rend possible le développement de la citoyenneté, la
liberté d’entreprendre et la participation responsable locale. Si l’action
collective est historiquement assimilée à la révolte populaire, elle est
aujourd’hui plus qu’hier, dynamique de création et de résistance active
aux pouvoirs dominants. Elle incarne l’idéal d’un pouvoir partagé, d’un
« pouvoir de » plutôt que d’un « pouvoir sur ». Ce genre d’actions
collectives, comme les réseaux d’échanges de savoirs, de services,
toutes les initiatives de partage (
share
), que le numérique a permis
de développer, témoignent, loin des prophéties d’un individualisme et
40
(19) BénédicteManier,
Un million de révolutions tranquilles, Travail/Argent/Habitat/
Santé/Environnement… Comment les citoyens changent le monde,
Les liens qui
libèrent Éditions, novembre2012.