une dimension incantatoire comme solution ou remède à tous les maux
du vivre ensemble. Il est cette vérité qui fait corps et s’impose comme
une évidence sans partage.
Pourtant si l’on veut bien revenir sur ce mot comme
trésor de signifi-
cation
et
moteur de pensable
, on y trouve en particulier ces grandes
ambitions sociétales qui structurent, ordonnent et questionnent nos
régimes démocratiques, à savoir :
- la souveraineté du peuple rempart contre l’arbitraire et l’autorité
abusive, autant que le droit à la participation politique de tous ;
- l’exercice de la raison publique ;
- la sauvegarde de la pluralité des doctrines, du pluralisme et de la
tolérance ;
- lamême loi pour tous dans un état de droit tout comme lamédiation de
la loi entre tous pour trouver ordre et équilibre ;
- une aspiration à la dignité des personnes, à la probité des gouverne-
ments, à la liberté individuelle et collective.
Parler d’idéal démocratique c’est souvent pour dire qu’on n’y est pas
et pour les plus pessimistes qu’on n’y sera jamais, tant les conduites
humaines ne sont pas idéales. Ici la question qu’on peut se poser est de
savoir si les nouvelles technologies de l’information et de la communi-
cation, et on pourrait rajouter de la participation (NTICP), peuvent être
profitables au développement illimité d’un idéal à jamais inaccessible ou
si elles peuvent, selon comme on s’en saisit, contribuer à sa réalisation
enfin ! Il n’est pas rare d’entendre dire que le numérique n’est qu’un
moyen dont l’usage que les hommes en feront déterminera s’il est bon
ou mauvais, bien ou mal, juste ou injuste. C’est peut-être là une folle
idée de volonté libre qui pourrait s’exercer affranchie de tout condition-
nement. On peut tout autant affirmer que ces nouvelles technologies
fabriquent nos volontés et qu’il nous importe dès lors de concevoir
comment faire avec elles et en vue de quoi, de les considérer comme des
forces à part entière avec lesquelles la politique a à composer inévita-
blement, sans cesse.
Depuis la cité grecque, depuis l’émergence de ce « modèle » de démo-
cratie grecque, (qui ne concernait que dix pour cent de la population)
dont nous sommes peu ou prou les héritiers, l’idéal démocratique
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central ; il est immobile et porté, en dérive, jamais casé, toujours atopique (échap-
pant à toute topique), à la fois reste et supplément, signifiant occupant la place de
tout signifié. Cemot est apparu dans sonœuvre peu à peu ; il a d’abord étémasqué
par l’instance de la Vérité (celle de l’Histoire) ; ensuite par celle de la Validité (celle
des systèmes et des structures) ; maintenant, il s’épanouit; ce mot-mana, c’est le
mot “corps”
».
Parler de l’idéal démocratique nous invite à revisiter quelques-uns de
ces invariants qui ont traversé l’histoire, pour penser ce à quoi l’on tient
encore et ce vers quoi nous voulons tendre. Pas question ici de vouloir
mesurer l’étendue du réel, mais plutôt tenter de formuler un tant soit
peu l’ordre du souhaitable. L’articulation de l’idéal démocratique à l’ère
numérique justifie à mon sens une double approche : dans quel rapport
de puissance rentrer avec le numérique pour donner à nos idéaux
démocratiques des possibilités d’effectuation réelle ? Comment et dans
quel rapport de composition donner à ces « outils numériques » une
puissance démocratique ? Bien sûr, le sujet est « énorme », largement
documenté, objet de multiples controverses, un sujet sur lequel tout
un chacun a nécessairement quelque chose à dire ; autant avouer tout
de suite le prisme réducteur (de philosophe de terrain) avec lequel j’ai
choisi de le traiter en me centrant en particulier sur la question de la
participation
.
Pourquoi parler d’idéal ?
On lui prête beaucoup de vertus à ce mot-là, comme si on avait affaire
à la part intangible de ce qui nous fait homme. L’idéal fait-il promesse
à jamais non tenue, fait-il revendication en maintenant le sens de la
révolte par laquelle on trouve le courage de ne pas s’adapter, fait-il
horizon ou point de mire de ce qui peut guider les conduites humaines
sans pour autant les disqualifier ? Ou bien fait-il norme exclusive sans
concession ni discussion ? Penser ou repenser l’idéal démocratique
aujourd’hui c’est tout autant chercher à ressourcer nos convictions que
savoir aussi douter de nos fidélités.
«
L’idéal démocratique
, dit Pierre Rosanvallon
16
,
règne désormais sans
partage, mais les régimes qui s’en réclament suscitent presque partout
de vives critiques
». On peut dire que l’idéal démocratique se confond
avec une démocratie idéale qu’aucun régime politique ne serait capable
de mettre en œuvre « véritablement ». Le mot « démocratie » me
semble un mot «mana »
17
au sens où Roland Barthes le définit chez les
auteurs, lorsque l’énoncer revient à faire injonction de sens sans pouvoir
en redistribuer la signification. Il porte sa vérité en lui même, et revêt
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(16) PierreRosanvallon, L
a contre démocratie, la politique à l’âge de la défiance
, p. 9,
Ed. du Seuil, 2006.
(17) LeMot-mana in
Roland Barthes par Roland Barthes
, p.117, Ed. du Seuil, 1995.
«
Dans le lexique d’un auteur, ne faut-il pas qu’il y ait toujours unmot-mana, unmot
dont la signification ardente, multiforme, insaisissable et comme sacrée, donne
l’illusion que par ce mot on peut répondre à tout ? Ce mot n’est ni excentrique ni