Cahier n° 11 - page 40-41

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Toutefois, il nous faut faire la distinction entre savoir et penser : donner
la parole aux uns et aux autres, c’est aussi parier sur la possibilité de
penser « d’un monde à l’autre », dès lors que nous pouvons le faire
ensemble. Il y a tout un tas de questions – c’est Hannah Arendt qui le
souligne - où finalement peu importe de savoir, ce qui compte c’est de
penser. C’est à proprement parler le domaine de l’éthique que de décider
si telle ou telle décision répond à un peu plus de justice, d’égalité, de
liberté ou de fraternité. Cette pensée-là et cette estimation ne pourront
jamais se contenter des données.
Alors oui les réseaux sociaux et le forum ont du chemin à parcourir pour
cultiver ce parler vrai, pour ne pas encourager le parler à tort et à travers,
mais en même temps on peut y voir assurément l’occasion donnée à
tout un chacun demettre ses opinions à l’épreuve de la vérité partagée.
Le courage de la contradiction dans l’engagement citoyen
Le parler vrai en égalité de parole, sans le pouvoir de faire taire, expose
son auteur à la violence de la contradiction.
Depuis longtemps, le débat s’apparente au combat : il en faut des forces
rhétoriques et des armes de persuasion pour vaincre son adversaire
dans unemécanique bien souvent théâtralisée. Le débat-combat cristal-
lise les oppositions dans le but de donner à l’une ou à l’autre des parties
le plus grand nombre de suffrages. Il n’est pas ici toujours question de
courage mais de stratégie, de tactique, de jeux d’influence et parfois de
dissimulation. Une réelle égalité de parole et un parler vrai supposent
idéalement autant la coopération des parties en présence que le courage
pour l’un ou pour l’autre de la contradiction. Àn’en pas douter, ce courage-
là est rendu possible par la nature du dispositif par lequel chacun peut
« donner » sa parole. Le courage de déplaire aujourd’hui, contrairement
auxGrecs qui s’exposaient à lamort, s’appuie idéalement sur une passion
partagée pour la recherche du bien commun. Ici se retrouve bel et bien
une limite du tout dire dans l’engagement de chacun sur les consé-
quences de sa parole. Contredire une décision ou une argumentation
c’est trouver assez de ressources et de légitimité pour s’affranchir de la
crainte de l’autorité dominante.
L’anonymat qu’autorise la communication à distance, l’usage si répandu
des pseudonymes et des avatars, s’il permet une relative égalité de
parole semble bien loin d’encourager l’engagement citoyen responsable.
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Le jeu de l’ascendant dans la réciprocité avec les MOOC
(Massive Open Online Course)
Assumer l’ascendant, c’est assumer sa prééminence de statut, de cha-
risme, de technicité ou d’expertise. Bref, si l’égalité vaut en parole, elle
ne vaut pas en termes de responsabilité. Assumer l’ascendant suppose
que le dispositif de débat favorise la reconnaissance partagée en amont
et en aval de ce dont chacun a à répondre à sa place.
Cet idéal de participation atteint aujourd’hui lemonde de l’enseignement
qui, traditionnellement, a instauré des places non réversibles à l’ensei-
gnant et aux élèves. Les MOOC, par exemple ou « la classe inversée »,
changent la donne en offrant la possibilité à l’apprenant de se saisir à
sa guise et à son rythme d’un savoir, pour rencontrer ensuite le sachant,
non plus comme magister mais comme guide dans l’appropriation des
savoirs. Assumer l’ascendant ce n’est pas s’appuyer sur son pouvoir
statutaire
ex nihilo
mais consentir à une réciprocité certes dissymé-
trique, qui fait la place au débat et qui donne la possibilité à l’apprenant
de devenir à son tour auteur du savoir. Assumer l’ascendant pour
l’enseignant, c’est d’une certaine manière consentir à voir son savoir
lui échapper, se tenir dans une posture davantage de transmission que
d’enseignement. C’est aussi chercher à valoriser les ressources et la
pensée des apprenants à travers le dispositif du débat. On peut souhai-
ter fortement que l’enseignement à distance ait à s’articuler avec des
formes de présence des uns aux autres, faisant la part à la rencontre
physique, une rencontre non pas de bonne distance conventionnelle
mais de juste proximité, où la responsabilité mutuelle s’expérimente
dans une rencontre de sujet à sujet.
Le dire-vrai entre savoir et penser avec les réseaux sociaux
On est traversé par le désir de vérité quand on parle vrai ; ce n’est pas
seulement le parler sincère ou le parler cru ou le parler franc dont il
s’agit, mais dire-vrai, c’est celui qui cultive la vérité ou la cherche sans
jamais consentir ni à la « langue de bois » ni au jeu de la rumeur. Même
si c’est une vertu du débat, que de pouvoir exposer ses opinions avant
d’en avoir éprouvé la vérité, c’est un peu l’idée que le parler vrai n’est pas
toujours « tourner sa langue sept fois dans sa bouche », mais s’efforcer
vers la vérité par le dialogue. Alors il est possible que les connaissances
partagées, l’accès incommensurable au savoir, mais surtout toutes les
possibilités dediscussionen ligne favorisent effectivement unparler vrai.
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