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Aussi provocateur que cela puisse paraître, c’est le primat d’une
conscience exacerbée et le subjectivisme auquel cela aboutit qui,
justement, trouva son acmé dans l’incommunicabilité de ces mêmes
consciences chacune enfermée en son étroite forteresse individuelle.
Caparaçonnée dans ses certitudes, politiques, idéologiques, religieuses,
la conscience ne pouvait qu’engager le combat contre une autre
conscience munie d’armes identiques. La raison raisonnante résonne
du bruit des guerres dont elle est avide. Les systèmes rationalistes,
causes et effets de ces batailles, sont par essence mortifères : ils
portent à la mort.
En son sens strict il s’agit d’une « paranoïa » (système de pensée bien
construit, surplombant, unilatéral), déniant toute réalité à ce dans
quoi l’on est immergé : tradition, lieu, ethnie, culture. Toutes choses
faisant qu’à l’encontre du « je pense », l’on est pensé par l’altérité
antécédente et environnante. Il y a, en effet, de la paranoïa dans le
« progressisme » qui est la grande mythologie (ne se reconnaissant
pas comme telle) moderne. Progressisme oubliant la « progressivité »
des choses, c’est-à-dire l’implication dans le monde naturel et sociétal
et l’enracinement dans le sensible du vivant. Progressivité qui va
ressurgir dans l
’écosophie postmoderne
.
Cette dernière, dans une perspective « holistique », c’est-à-dire inté-
grant l’entièreté du donné humain, va mettre en jeu, dans une logique
de réversibilité, tous les aspects : rationnel, sensible, instinctuel, émo-
tionnel, de l’humaine nature. Son «
habitus
», également, c’est-à-dire
(selon Aristote et saint Thomas d’Aquin) son ajustement à un territoire
partagé avec d’autres, ou encore (Spengler) son enracinement et donc
sa croissance dans un biotope précis. Voilà bien ce que l’on peut nommer
la révolution induite par le retour des sens et du sensible, du corps et
des humeurs, dans un « Réel » sociétal élargi et enrichi de toutes ses
potentialités.
L’irruption des affects rappelle, tout simplement, la « dialogie » exis-
tant entre « chaos » et « cosmos », entre ordre et désordre. Homo
sapiens n’est tel qu’en rapport avec « Homo demens ». Le vitalisme
est, structurellement, ambivalent. C’est parce qu’il y a de l’antinomique,
de l’anomique, que peut exister un « nomos de la terre » (C. Schmitt).
Une loi interne, ambiguë, plurielle, polythéiste, dont l’ambivalence
n’est pas autre chose que le mouvement ou la dynamique de la nature