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décrits comme des manifestations d’une profonde « aliénation » ou
d’une exploitation des corps et des esprits. Ne peut-on pas, plutôt,
reconnaître là le fait qu’on se « régale » de la vie ?
Il y a, en effet, un va-et-vient permanent dans l’énergétique sociétale
(ce que Bergson nomme «
élan vital
») entre Amour et Éros, entre
ordo amoris
et érotique sociale. Rapport d’appartenance exprimant
cette pulsion, propre à l’animal humain, qui aspire à la fusion ; à
rassembler ce qui est épars. Peut-être est-ce là la nostalgie de ce que
Durkheim nommait le « divin social » ? L’être-ensemble comme dieu.
La transcendance qui « s’immanentise » ! C’est bien à cela que conduit
l’analyse d’un ordonnancement social où l’émotionnel occupe la place
principale permettant de comprendre l’union étroite unissant la raison
et les sens. « Ratio-vitalisme » atteignant son apogée dans les
effervescences festives de tous les temps, du nôtre en particulier.
On voit bien, ainsi, comment l’énergie libidinale est à la source même
des multiples impulsions qui meuvent les individus et, donc, favorisent
leurs diverses agrégations. C’est en ayant cela à l’esprit que l’on pourrait
avoir une compréhension, on ne peut plus concrète, de l’action des tribus
postmodernes où l’attraction affectuelle et l’impulsion émotionnelle
ne manquent pas de jouer un rôle de premier plan.
C’est bien ce que Spinoza, dans son naturalisme panthéiste, nommait
« l’intelligence amoureuse » : cette capacité, à partir de l’affect, de « lier
ensemble» (intellegere) tous les éléments épars d’un«Réel » complexe.
En effet, l’intelligence en son essence n’est telle que lorsqu’elle sait
rassembler ce qui est épars. Elle est, alors, concrète : elle sait croître
(cum crescere) avec celamême qu’elle décrit. En bref, elle est enracinée
dans la vie de tous les jours et participe, ainsi, aux passions communes.
Un tel enracinement n’est pas chose aisée tant l’esprit tend à s’abstraire
de cet humus qui, pourtant, constitue l’humain. C’est cette radicalité
ainsi définie : retour aux racines d’un humain complexe et ambivalent,
qui permet de comprendre la réactualisation contemporaine de cette
« âme du monde » des néo-platoniciens. Âme inconsciente, âme
affective, âme de la nature, peu importe les appellations. Il suffit de
noter qu’une telle vue intuitive permet de souligner l’importance de la
sortie de soi dans l’autre. Le terme
empathie
, fréquemment utilisé de
nos jours, ne fait qu’exprimer cette interaction entre l’un et l’autre :