25
de pauvreté apparaissent moins aigus dans le second cas que dans le
premier – si l’on en juge par les différences notables que l’on relève
entre les États-Unis (formule libérale tirée vers l’ultralibérale par une
frange du parti républicain) et la France (État-providence tiré vers plus
d’intervention étatique par une partie de la gauche). En général, les
ultra-libéraux promettent des croissances économiques plus fortes,
et prétendent que l’accroissement de la richesse nationale finira par
bénéficier aux plus pauvres – prédicat qui n’est pas toujours vérifié.
Les États-providence sont plus soucieux d’une redistribution régulée
des richesses et de protection sociale, mais les dispositifs correspon-
dants sont accusés de peser sur l’économie et la croissance – ce qui
est parfois le cas. Ceci étant, les problèmes de justice sociale restent
considérables dans la plupart des pays développés qui se réclament du
libéralisme. Par ailleurs, à ce jour, les pays riches n’ont pas, tant s’en
faut, su ou voulu résoudre le problème de la pauvreté à l’extérieur de
leurs frontières. Or, commementionné plus haut, une nation libre a un
devoir d’altruité qu’elle est censée exercer, non seulement vis-à-vis
de ses ressortissants, mais aussi envers les autres nations. De ce point
de vue, j’estime que la réduction des injustices à l’échelle dumonde est
quasi-impossible dans l’état actuel du système libéral.
D’où l’idée d’un « libéralisme altruiste » que j’appelle de mes vœux et
qui pourrait s’installer dans une période « post-libérale », si l’on veut
souligner par ce terme la nécessité d’une rupture avec la période
actuelle. Pour ce qui concerne la France, fière des principes issus de
sa Révolution, je pense que le terme d’altruité devrait être inclus dans
la devise républicaine « Liberté, égalité, fraternité » qui est l’exergue
de la République. La trilogie « Liberté, égalité, altruité » sonne juste.
Si l’on voulait conserver l’idée de fraternité, on pourrait se rallier à la
tétralogiemoins euphonique de « Liberté, égalité, altruité, fraternité ».
Philippe Kourilsky
Professeur émérite, Collège de France
Membre de l’Académie des sciences