Cahier numéro 6 - page 34-35

À la solitude existentielle de chacun, lot humain, s’ajoute alors une
solitude qui est liée à toutes ces conditions nouvelles de positionnement
de l’individu au sein de la société.
À propos d’art et de culture
Il en est des formes de la culture comme des formes de la nature, elles
présentent un éventail infini de manifestations.
On retiendra la culture version « sucre rapide », seul divertissement qui,
progressivement, comme l’a très bien analysé Hannah Arendt, trans-
forme l’objet culture en un loisir et qui reste donc dans la logique de la
société de consommation, amusement et jouissance immédiate sans
prolongement.
On distinguera la culture version « sucre lent », qui intègre aussi l’art et
qui, tout en gardant une forme de divertissement, va également nous
permettre de nous interroger sur les grandes questions, la vie, l’amour,
lamort, le temps, l’autre, et va nous cogner à la réalité. Une culture qui va
nous faire prendre conscience de nos similitudes et de nos différences
et nous faire reconnaître quelle fraternité peut nous unir. Cette culture
qui nous permet aussi de mieux nous connaître et peut-être aussi de
mieux nous aimer, car pour vivre ensemble ne faut-il pas d’abordessayer
de vivre bien avec soi-même ? Le latin résumait toutes ces fonctions en
deux verbes,
delectare
et
docere
, réjouir et enseigner. Comme l’écrivait
Hannah Arendt : «
L’élément commun à l’art et la politique est que tous
deux sont des phénomènes du monde public
», précisant sa pensée en
notant que le goût est la faculté politique qui crée la culture. Et pour
elle, être cultivé suppose de s’intéresser à l’art ni comme à un objet
de consommation ni comme à un objet de savoir, mais d’une manière
politique en étant «
quelqu’un qui sait choisir ses compagnons parmi
les hommes, les choses, les pensées, dans le présent comme dans le
passé
».
À notre époque, plus que jamais, non seulement l’art et la culture
contribuent au bien-être social, mais ils sont des conditions vitales si
nous voulons « être » dans le plein sens du terme, être mieux, être plus
conscients. En réalité, il ne s’agit pas de « bien-être» et donc de parler en
terme de quantité, mais de parler en terme d’apport qualitatif dans nos
vies. C’est dans la rencontre individuelle ou collective avec des œuvres
d’art que nous sollicitons le meilleur de nous-mêmes, que nous prenons
conscience de notre humanité, de notre dignité.
Alors, vous l’avez compris, la culture « sucre rapide » apporte le plaisir
immédiat et pour un instant. C’est très agréable, c’est tentant et c’est ce
que notre société favorise d’abord, mais, et vous le savez, à haute dose
le sucre rapide, pâtisseries et sodas, est très néfaste pour la santé. Nos
corps, nos esprits ont besoin de sucre lent.
C’est fort de cette intuition, fort aussi de cette expérience de trente ans
de vie professionnelle, de productions de spectacles et d’accompagne-
ment des artistes, que j’ai développé cette profonde conviction, qui m’a
conduit à prendre un certain nombre d’initiatives et d’équilibrer sucres
rapides et lents !
Sur les effets bénéfiques du festival Suresnes
cités danse
Parmi ces initiatives figure en bonne place le festival Suresnes cités
danse que j’ai créé en 1992, il y a maintenant plus de vingt ans. Après
ma rencontre déterminante avec Doug Elkins, et tout au long de ces
années, mon admiration et mon affection pour des danseurs issus des
cités n’a fait que grandir à force de voir leur désir et leur plaisir de danser,
la force de leur engagement, leur audace physique, leur volonté de
progresser, leur talent d’improvisation s’appuyant sur une technique très
maîtrisée et très codée, leur envie de participer à de nouvelles aventures
artistiques et leur goût pour la liberté. Ce sont des artistes, dont beaucoup
ont un vrai talent pas seulement de virtuoses techniques mais aussi
d’interprètes sensibles.
Il fallait leur donner la place qu’ils méritent dans un théâtre, les accom-
pagner de manière complice et toujours exigeante en leur donnant les
moyens de travailler professionnellement, leur permettre aussi d’appro-
fondir leur art en provoquant des rencontres avec d’autres univers
chorégraphiques et musicaux. C’est ce que nous avons fait depuis 1993,
avec toute l’équipe motivée et passionnée du Théâtre de Suresnes
Jean Vilar. En inscrivant le festival dans la durée, et convaincus que
toute forme d’art se désintéresse des catégories et des étiquettes,
nous avons donné la possibilité aux différentes danses issues du hip
hop d’être vues dans leurs diversités grâce à l’énergie et au talent des
artistes.
Pour beaucoup de danseurs et de chorégraphes, Suresnes cités
danse a constitué leur première grande aventure artistique sur une
scène de théâtre. Ce festival leur a servi de révélateur et souvent
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