Cahier numéro 6 - page 14-15

Car l’impact du numérique ne saurait être limité à une catégorie de pra-
tiques là aussi à circonscrire ou à localiser. Il implique en effet :
- une révolution de l’accès aux contenus culturels, dont les effets
d’abondance appellent une analyse en termes d’esthétique de la
réception - au-delà des seules approches économiques et de marketing
très largement dominantes sur ce terrain ;
- une modification de fond du rapport à l’œuvre (avec l’apparition de
nouveaux formats et d’unité commercialement viables, la disparition
de formats plus anciens, et la transition d’une culture du stockage à
une culture de l’accès) ;
- une modification potentiellement radicale, dans la même logique, des
modes de « prescription » - ou plutôt de recommandation, terme plus
neutrequi n’impliquepas nécessairement unarrière-fondde légitimation
ou de reproduction sociale dans la transmission ou la construction du
goût. Là aussi, on peut faire aisément l’hypothèse que les nouvelles
modalités de la recommandation ont des effets qui dépassent large-
ment le seul achat en ligne et l’usage desmoteurs qui l’accompagnent ;
- des changements majeurs dans l’expression du goût via les réseaux
sociaux et les forums spécialisés (en termes de légitimité à construire
une opinion et de capacité à l’exprimer) ;
- une nouvelle articulation entre individualisation des pratiques et (nou-
veaux) collectifs.
C’est en prenant véritablement en compte, dans la compréhension des
pratiques culturelles, cet impact du numérique sur le non-numérique
(qu’est-ce qu’aujourd’hui s’informer, visiter, écouter, regarder, lire, sortir,
participer, pratiquer ?
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) que l’on pourra identifier non seulement
la persistance ou non des anciens plafonds de verre, mais aussi les
nouvelles formes qu’ils peuvent prendre, en termes de compétence et
de capacité au travers des questions d’attention ; en termes d’homo-
généisation ou non des pratiques culturelles, via l’intérêt que peuvent
avoir, par exemple, les moteurs de recommandation à susciter la prise
de risque, ou au contraire à fixer au mieux les consommateurs sur leurs
niches derrière la façade trompeuse d’une diversité de l’offre totale-
ment inédite. Ce ne sont bien sûr que quelques pistes plaidant pour une
analyse des pratiques culturelles renouvelée, au service de politiques
culturelles mieux instruites.
Dans une préface célèbre
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, Michel de Certeau parlait du regard super-
ficiellement panoptique que nous offrait les derniers étages des Twin
Towers de NewYork : observer, typologiser, quantifier les déplacements
des passants et des véhicules, établir des probabilités de parcours, en
déduire les conséquences en termes de gestion des flux. Au risque de
perdre au passage ce qui reste irréductible à une telle approche : les
tactiques et les stratégies individuelles de la construction du sens.
Peut-être est-il temps d’analyser à nouveaux frais cette « Invention du
quotidien » - et d’en tirer les conséquences en termes de priorités pour
nos politiques publiques.
David Fajolles
Chargé de mission au sein du ministère
de la Culture et de la Communication
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(3) Cf. Philippe Chantepie,
Culture &Médias 2030
(DEPS / ministère de la Culture et
de la Communication, 2011).
(4) Michel de Certeau,
L’Invention du quotidien. 1. arts de fair
e, Gallimard, 1980.
(4) Michel de Certeau,
L’Invention du quotidien. 1. arts de fair
e, Gallimard, 1980.
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