Cahier numéro 1 - page 38

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l’autre
parce qu
’il souffre méconnaît le fonctionnement spontané
de l’empathie, voire le complique et le compromet. S’affranchir de la
culture de la charité est à mon avis une clé essentielle pour réparer
le tissu empathique sans lequel aucune solidarité durable ne peut
s’épanouir. C’est pourquoi nous avons choisi, dans ce dispositif, de
mettre en avant les capacités des personnes, leurs goûts, leurs talents,
plutôt que la souffrance et le besoin des uns, les ressources et le sens
du devoir des autres.
S’affranchir des idéologies
Certains acteurs de la solidarité s’adossent à une philosophie rigou-
reusement laïque, mais se mettent au service d’un système de valeurs
prédéfinies.
Chez ces acteurs, la solidarité est assimilée au combat contre le
capitalisme, contre le libéralisme sauvage, contre le « marché »… Elle
devient un étendard et une cause. Paradoxalement, cela freine son
épanouissement, comme un être que l’on prive de sonmilieu naturel, de
sa source. Car la solidarité n’est pas une idée vertueuse, elle n’est pas
une valeur, elle est d’abord
un besoin
. Nous avons besoin de vivre dans
un monde solidaire, peuplé d’êtres solidaires, et c’est un jeu qu’on ne
peut pas jouer seul au nom d’idéaux, il ne peut être joué qu’ensemble,
structurellement. Émanciper la solidarité de ces carcans idéologiques,
c’est accepter l’homme comme il est, sans le juger. Accepter que
Jacqueline puisse avoir
intérêt
à s’occuper de Madame Blanchot parce
que celle-ci en retour lui rend de menus services bien utiles, ou que
Stéphane apporte sa présence bienveillante, sa conversation àmonsieur
Robert
en échange
d’une pièce de son appartement où le jeune homme
pourra venir étudier tranquillement. Les relations humaines sont faites
de ces échanges, de ces « intéressements » parfois superficiels, et
parfois pleins de profondeur.
C’est ainsi qu’Henriette a pu nouer une relation forte avec Madame
Basile, si acariâtre et revêche qu’aucun voisin ne voulait entendre parler
d’elle. Pourquoi ? Parce que Madame Basile rappelait à Henriette sa
vieille mère, décédée trois ans plus tôt, et toute pénible qu’elle était,
Henriette se retrouvait à son contact dans un climat affectif qu’elle
connaissait et où elle trouvait son compte, bien que la relation fût tendue
et conflictuelle. Voilà un cas typique d’« intéressement ».
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