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pour la bonne raison que ce sont les aînés qui font tenir les sociétés,
pas les quadragénaires actifs, ni les jeunes parents, ni les adolescents
qui se cherchent ! Les plus âgés assurent depuis toujours cette fonction
sociale, au sein des familles et des groupes humains de toute nature.
Les tenir à l’écart de la vie sociale active, c’est donc priver la société de
la fonction vitale qu’ils y exercent. Il y a là un déséquilibre programmé
que l’on gagnerait, dans nos efforts pour lutter contre l’exclusion, à
repérer et à réparer comme tel.
Pour la plupart d’entre elles, les personnes âgées ne rêvent pas de se
reposer, oisives, dans une retraite agréable. Elles rêvent, comme tout
un chacun, de se sentir utiles, d’avoir de la valeur aux yeux des autres,
d’être considérées et nécessaires.
Or la retraitepeut signifier unemort sociale. L’hommeet la femmepassent
brutalementdel’autrecôtéd’unebarrièreimaginaire:ilsnesontplus«dans
laboucle». Ensomme, lespersonnesâgéespaient leprixd’uneconception
malthusianiste de la société. Nul ne peut se sentir vivant et trouver sa
place dans un système social où il se sent
de trop
. Autrefois perçues et se
percevant elles-mêmes comme des ressources faisant partie intégrante
de l’organisme social, elles sont tout à coup désignées, économiquement
et socialement, comme des charges pour la collectivité. Et transformées,
de ce fait, en charges authentiques.
La retraite, comme droit, est un acquis social dont la bienfaisance est
indiscutable. Mais comme obligation, ne serait-ce pas une violence ?
Encouragés à partir plus tôt que nécessaire, parfois obligés de quitter
prématurément tout ce qui a fait le sens de leur vie et de leur inscription
sociale, des hommes et des femmes se retrouvent du jour au lendemain
sans fonction, sans rôle.
« Dans la nature », comme on dit. Personne ne leur adresse unmessage
si négatif, naturellement, au contraire, la retraite est socialement perçue
comme un soin, un geste de solidarité envers les plus âgés… mais le
système même institue le fait : ils ne servent plus à rien. Comment dès
lors ne se percevraient-ils pas eux-mêmes comme d’inutiles fardeaux ?
Comment continuer une vie socialement harmonieuse et narcissique-
ment gratifiante, comment continuer à
donner
dans ces conditions ?